La période automnale 2024 a donné lieu à des innovations et des événements variés dans le domaine des technomémoires. Ces technologies, en constante évolution, continuent de transformer la manière dont nous collectons, stockons et interagissons avec nos souvenirs et nos données personnelles.
Les technologies propulsées par l’intelligence artificielle : tout n’est pas au beau fixe
Parmi les dispositifs technologiques révélés lors du CES 2024 (Consumer Electronics Show) de l’an passé, l’AI Pin de Humane et le Rabbit R1 de Teenage Engineering sont désormais considérés comme des flops en ce début d’année[1].
L’AI Pin, un badge portable sans écran, venait avec de grandes promesses et ambitionnait de réinventer la manière d’interagir avec nos données. Contrôlé par la voix et proposant la fonctionnalité de projeter une image dans la paume de la main, le produit n’a cessé de décevoir. Les reproches concernant l’AI Pin incluent ses performances limitées et son prix prohibitif, qui démarre à 700 dollars, en sus d’un abonnement mensuel de 25 dollars. Prometteur en théorie, le produit, dont on critique la conception, ne trouve pas son public.
Le Rabbit R1, avec son design coloré et rétro rappelant un tamagotchi, avait suscité beaucoup d’engouement au départ. Doté d’un écran, cet assistant personnel misait sur la mémoire à long terme et l’IA pour accompagner ses utilisateurs. Cependant, des bugs récurrents et des lenteurs dans le système ont éteint cet enthousiasme.
Sans dire qu’il s’agit d’échecs, ces deux nouvelles technologies montrent les pressions qui accompagnent l’innovation à l’ère de l’IA sommée de matérialiser des solutions émergentes. Un constat que le CES 2025 a mis en lumière.
Hormis des ordinateurs ultralégers, des aspirateurs robots, des lunettes connectées nouvelle génération et d’autres technologies mises en vitrine, un nouvel objet connecté, désigné sous l’appellation « Wearable Ai Memory » est proposé par une autre compagnie, Based Hardware, qui persiste dans cette mouvance. Le OMI (Omi.me), annoncé dans les derniers mois, est un assistant personnel en forme de sphère qui peut être porté comme un pendentif ou sur la tempe, commercialisé au prix de 130$. L’appareil enregistre l’environnement sonore de l’usager·e et lui fournit des indications, parfois mémorielles, par le biais de notifications sur le cellulaire. Dans la vidéo promotionnelle (2025), on peut par exemple voir l’interface d’OMI aider une grand-mère à se rappeler que ses petits enfants aiment les spaghetti.
Agent de simulation : répliques virtuelles de personnalité
Une étude récente réalisée par des chercheurs de Stanford et de Google DeepMind, publiée sur arXiv, ouvre de nouvelles perspectives en matière d’agents IA. Dans un article de James O’Donnell du MIT Technology Review, nous apprenons qu’en deux heures d’entretien avec un modèle d’IA, des répliques virtuelles des participants ont été créées, capturant leurs valeurs, préférences et comportements avec une exactitude de 85 %. Selon les chercheurs, ces agents IA pourraient transformer la recherche en sciences sociales et d’autres domaines en permettant l’approfondissement d’études à grande échelle. Ces conclusions enthousiastes de Joon Sung Park, doctorant en informatique à Stanford, et son équipe, soulèvent toutefois des inquiétudes. Les avancées et les dangers de ces technologies de personnification sont multiples, et les réserves éthiques restent nombreuses (risques de deepfakes, manipulations en ligne, appropriation abusive des données personnelles, etc.).
Vers des jumeaux numériques : les promesses et les risques
En complément de ces agents IA de simulation, des entreprises comme Tavus développent des outils capables de créer des jumeaux numériques à partir de données personnelles, notamment des échanges d’e-mails et entretiens. Ces avatars, capables d’imiter des individus, sont déjà exploités dans des contextes professionnels (formation, support client, etc.), mais comme le souligne John O’Donnell dans son article : « Toute technologie de génération d’agents soulève des questions sur la facilité avec laquelle les gens peuvent créer des outils pour personnifier d’autres personnes en ligne, en disant ou en autorisant des choses qu’ils n’avaient pas l’intention de dire[2]. »
Plus loin dans cette perspective, cette vision technologique s’inscrit dans une tendance plus large, déjà explorée par des gourous technologiques tels que Ray Kurzweil, qui prédit une fusion entre l’humain et la machine dès 2045. Le concept d’immortalité numérique, emprunté à la science-fiction, s’ancre de plus en plus dans des recherches concrètes. Toutefois, les implications sociétales et éthique de telles innovations demeurent importantes.
Technomémoire et société : événements et débats
Plusieurs événements cet automne ont contribué à enrichir les réflexions sur les technomémoires :
- Journée d’étude « Technomémoire » (27 septembre 2024) : organisée par Emmanuelle Caccamo et Katharina Niemeyer, cette demi-journée d’étude a exploré les technologies émergentes spécialisées dans la production et la gestion de souvenirs personnels.
- Tech.Rocks Summit (2-3 décembre 2024) : cet événement, réunissant des professionnels de la tech, a mis l’accent sur le thème de la résilience dans un monde technologique en perpétuel changement. https://events.tech.rocks/summit-2024/fr/
- Imagine Summit (5 décembre 2024) : organisé à Rennes, cet événement a réuni des acteurs de l’innovation pour discuter des valeurs et des défis de L’«innovation désirable ». https://www.imagine-summit.tech/fr/imagine-summit-en-quelques-mots
Ces rendez-vous illustrent la volonté des chercheurs, professionnels et citoyens de mieux comprendre et encadrer l’essor des nouvelles technologies.
L’automne 2024 a été riche d’enseignement sur les opportunités et les limites des technologies qui repoussent les frontières de la mémoire humaine. Entre les espoirs d’avancées spectaculaires et les abus qu’elles peuvent engendrer, le questionnement de ces impacts sur nos valeurs et pratiques sociétales restent au cœur des débats contemporains.
[1] Stéphanie Dupuis, « Ces technologies qui ont fait tourner les têtes au CES 2025 », Radio-Canada, 10 janvier 2025, consulté le 10 janvier 2025. En ligne : <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2131767/consumer-electronics-show-technologies-innovations>
[2] James O’Donnell, « AI can now create a replica of your personality », MIT Technology Review, 20 novembre 2024, consulté le 20 novembre 2024. En ligne : < https://www.technologyreview.com/2024/11/20/1107100/ai-can-now-create-a-replica-of-your-personality/>