Catégorie : Entrées du carnet de recherche

Actualités sur les technomémoires (été 2024)

La période estivale 2024 a été riche en événements et innovations dans le domaine des technomémoires[1], ces technologies qui transforment la manière dont nous collectons, stockons et accédons à nos souvenirs et à nos données personnelles.

Journal personnel « intelligent »

Dans un article paru le 9 août 2024, le journaliste Filipe Esposito, explique que, l’application Journal offrait déjà des améliorations quant à la gestion des souvenirs, générées à partir de photos prises, de la musique écoutée, des lieux visités, ainsi que des échanges avec les contacts.  Toutefois, les nouveaux brevets déposés par Apple révèleraient que l’entreprise envisage de pousser ces fonctionnalités bien plus loin grâce à l’intelligence artificielle (IA). Il va sans dire que le développement de l’IA est désormais au cœur des innovations dans les applications de journaux intelligents et devrait participer à transformer les produits déjà sur le marché, ainsi qu’à l’émergence de nouveaux designs.

Applications conversationnelles prospectives et posthumes

Développé par des scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Future You est un agent conversationnel basé sur l’intelligence artificielle visant à « recréer » une version future des personnes. Alors que l’application est informée par les réponses soumises par un usager dans le cadre d’un sondage poussé (informations sur soi, amis, famille, expériences qui ont façonné la vie, etc.), l’objectif est de donner une image de ce à quoi la vie future de l’usager pourrait ressembler. Selon Pat Pataranutaporn, l’un des contributeurs du MIT : « The goal is to promote long-term thinking and behaviour change. This could motivate people to make wiser choices in the present that optimise for their long-term wellbeing and life outcomes ». Il ne s’agit pas à proprement parler d’application posthume, mais elle pourrait bien le devenir une fois que l’usager est décédé.

Parmi l’émergence de ce type de technologies de « recréation » de personnes, il faut porter attention à la multiplication des « ghostbots »[2], ces robots conversationnels ou avatars numériques créés par l’intelligence artificielle afin d’imiter les défunts. De ces équivalents français, le terme « ghostbots », soit avatar mémoriel, bot-fantôme, avatar posthume, robot conversationnel d’un défunt, bot mémoriel, robot fantôme, fantôme numérique, thanabot, une autre appellation interroge : « griefbot ». Basé sur l’« empreinte numérique » du défunt, le griefbot permettrait une communication bidirectionnelle entre les personnes en deuil et la version numérique du défunt par le biais d’une interface conversationnelle ou d’un chat[3].

Assistant mnésique « intelligent »

Ressemblant dans sa logique à Personal AI, Charlie Mnemonic forme un assistant personnel basé sur des grands modèles de langage (agent LLM) doté d’une mémoire à long Terme (LTM) en open source.  « It’s designed to remember everything – every conversation, fact, and instruction – enabling continuous teaching and adaptation. It leverages a sophisticated system for storing, integrating, and retrieving memories, ensuring dynamic and scalable personalization.».

Hyperdiarisation (lifelogging) et outils

Le 10 juin 2024 à Phuket en Thaïlande avait lieu le septième Lifelog Search Challenge (LSC’24) qui s’est déroulé lors de la conférence ACM IMCR’24. Cet atelier de participation devant public, dont l’objectif était « d’évaluer de manière comparative les capacités du système à accéder à de vastes journaux de vie multimodaux comprenant des centaines de milliers d’enregistrements », a réuni cette année 21 équipes participantes rivalisant dans l’innovation.

Le Lifelog Search Challenge 2024 a dévoilé de nombreuses nouvelles innovations cette année. Le système LifeXplore, un prototype de système de récupération de données de lifelog développé par Martin Rader, Mario Leopold et Klaus Schöffmann de ITEC (Department of Information Techhnology) de l’Université de Klagenfurt (Autriche), a remporté pour une deuxième année consécutive le prix Meilleur système LSC (Lifelog Search Challenge).

Parmi les outils de lifelogging, les objets connectés de nouvelle génération, parfois désignés sous l’appellation « Wearable AI Memory », se succèdent les uns après les autres en 2024. Portés pour la plupart autour du coup à la manière des caméras de lifelogging telles que le Narrative Clip, la compagnie Plaud ne fait pas exception en dévoilant le Plaud Note, un enregistreur audio propulsé par l’IA (ChatGPT), ainsi qu’une version améliorée le NotePin, un appareil de prise de notes qui a des ressemblances avec le Compass de Field Labs. Le NotePin, contrairement aux outils de lifelogging qui se concentrent sur l’enregistrement audiovisuel et les images fixes, enregistre et retranscrit toutes les conversations auxquelles participent les usagers. L’entreprise, selon le journaliste Boone Ashworth, envisage ultérieurement d’utiliser ces données pour vous aider à construire des « jumeaux numériques ».


[1] Voir les différentes catégories dans le répertoire Technomnésis proposées par Emmanuelle Caccamo : https://technomnesis.org/repertoire/

[2] Voir par ex. : Bruno Guglielminetti,  « Ghostbots » : réconfort numérique ou risque pour la santé mentale ? », Mon carnet [En ligne], 11 mai  2024, consulté le 10 juillet 2024, URL : https://moncarnet.blog/2024/05/11/ghostbots-reconfort-numerique-ou-risque-pour-la-sante-mentale/ ; Nigel Mulligan, « Ghostbots : Ai Versions of Deceased Loved Ones could Be a Serious Threat to Mental Health », The conversation [En ligne], 14 mars 2024, consulté le 12 juin 2024. URL : https://theconversation.com/ghostbots-ai-versions-of-deceased-loved-ones-could-be-a-serious-threat-to-mental-health-224984

[3] Voir par ex. : Belén Jiménez-Alonso & Ignacio Bresco de Luna, « Griefbots. A New Way of Communicating With The Dead », Integr. Psych. Behav. 57 [En ligne], 16 mars 2022, consulté le 20 juillet 2024. URL : (https://link.springer.com/article/10.1007/s12124-022-09679-3 ; Zeyi Yang, « Deepfakes of Your Dead Loved Ones are a Booming Chinese Business »,  MIT Technology Review [En ligne], 7 mai 2024, consulté 19 juillet 2024. URL : https://www.technologyreview.com/2024/05/07/1092116/deepfakes-dead-chinese-business-grief/?truid=

Journée d’étude « Technomémoire » (27 septembre 2024)

TECHNOMÉMOIRE : MÉMOIRES, SOUVENIRS ET TECHNOLOGIES ÉMERGENTES

Demi-journée d’étude organisée par Emmanuelle Caccamo et Katharina Niemeyer

La demi-journée d’étude explorera les technologies dites « émergentes » spécialisées dans la production de souvenirs et la « gestion » de la mémoire personnelle du quotidien au XXIe siècle. Les personnes participantes se pencheront de façon critique sur les nouvelles formes de médiation de la mémoire mobilisant différentes techniques numériques récentes, à savoir l’intelligence artificielle, la réalité « augmentée », la réalité virtuelle, les médias socionumériques et les objets connectés (internet des objets). Il ne s’agit cependant pas de se limiter au seul regard sur le numérique dans un contexte de la production et de la réception de la mémoire et des souvenirs, mais d’envisager également de discuter la rencontre et la coexistence de l’analogique et du numérique quand il s’agit de faire mémoire.

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Participant·e·s recherché·e·s!

Dans le cadre d’une étude universitaire que nous menons à l’Université du Québec à Trois-Rivières, nous sommes à la
recherche d’hyperdiaristes (lifeloggeurs/lifeloggeuses).

Nous cherchons par exemple :

  • Des personnes qui accumulent quotidiennement une certaine quantité de données (photographies, vidéos, textes, statistiques, etc.) sur elles-mêmes, quotidiennement et grâce à différentes technologies.
  • Ou des personnes qui s’identifient comme lifelogger/lifeloggeuse.

Dans le cadre de l’étude, les participant·e·s auront à répondre à un court questionnaire (15 minutes) : https://fr.surveymonkey.com/r/YRL83ZV

Ce projet de recherche est mené à l’Université du Québec à Trois-Rivières par Emmanuelle Caccamo (prof. au Département de
lettres et communication sociale, UQTR) et Karine Bellerive (chercheuse postdoctorale). L’étude est financée par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), organisme subventionnaire fédéral du Canada. Pour obtenir plus d’informations sur ce projet de recherche, n’hésitez pas à communiquer avec nous par courriel : emmanuelle.caccamo@uqtr.ca

Appel à contributions – Technomémoire

Le présent appel s’inscrit dans le prolongement des études sur la mémoire matérielle et explore les technologies dites « émergentes » spécialisées dans la production de souvenirs et la « gestion » de la mémoire personnelle du quotidien au XXIe siècle. Il se penche de façon critique sur les nouvelles formes de médiation de la mémoire mobilisant différentes techniques numériques récentes, à savoir l’intelligence artificielle, la réalité « augmentée », la réalité virtuelle, les médias socionumériques et les objets connectés (internet des objets). Ce projet d’ouvrage souhaite cependant ne pas se limiter au seul regard sur le numérique dans un contexte de la production et de la réception de la mémoire et des souvenir, mais envisage également de discuter la rencontre et la coexistence de l’analogique et du numérique quand il s’agit de faire mémoire.

Annonce – Stage postdoctoral

Un·e candidat·e est recherché·e pour réaliser un stage postdoctoral à l’Université du Québec à Trois-Rivières dans le cadre du projet de recherche « Les hyperdiaristes au Canada : de la préservation technologique de la mémoire à la postmortalité transhumaniste » dirigé par la professeure Emmanuelle Caccamo. Le projet de recherche est financé par le Conseil de recherche en sciences humaines et sociales du Canada (CRSH).

Parution d’article | Eternime ou simuler les morts par le biais d’agents conversationnels « intelligents ». Réflexions sémiotiques sur un média imaginaire

Cet article s’intéresse au projet technologique Eternime (2014-2020), qui se proposait de simuler les morts par le biais d’agents conversationnels « intelligents ». À partir des approches combinées de la sémiotique, de l’intermédialité et de l’archéologie des médias, ce texte considère l’objet à l’étude comme un « média imaginaire ». Eternime n’a pas d’existence en dehors du laboratoire de son inventeur et se présente publiquement par le biais d’un ensemble de discours verbaux et visuels. Partant de cette prémisse, notre démarche s’articule en deux temps. En premier lieu, les thèmes rhétoriques mobilisés par le projet sont identifiés (point de vue synchronique). Dans un second temps, l’article formule des pistes heuristiques concernant les séries technoculturelles ou les trajectoires techniques dans lesquelles Eternime s’insère (point de vue diachronique). Ce travail poursuit ainsi deux objectifs en particulier : situer Eternime dans la sphère technomédiatique et problématiser la part d’inédit d’un tel projet.

Qu’est-ce que l’hyperdiarisation?

Nommé lifelogging en anglais, l’hyperdiarisation[1]Je propose ce terme en français, car il n’existe pas de traduction. constitue une pratique journalière de médiation de la mémoire et des souvenirs personnels par le biais de nouvelles technologies (Caccamo, 2017, 2021). Émergeant dans les années 1980 en Amérique du Nord, elle intéresse un petit nombre d’individus (les lifeloggers ou les hyperdiaristes), qui, le plus souvent harnachés de différents dispositifs informatiques, s’affairent à enregistrer en continu, et de façon plus ou moins automatisée, un grand nombre de données numériques reliées à leurs activités (Selke, 2016). Cette pratique d’archivage du quotidien englobe de nombreux types de données (Kelly, 2007 ; Dodge & Kitchin, 2007) :  il s’agit d’archiver des informations en lien avec des expériences et des événements vécus, des lieux visités, des personnes rencontrées, des conversations eues, des lectures faites, aussi bien que des idées rédigées, des photographies et des vidéos prises, des traces laissées sur les médias socionumériques, pour ne citer que cela. En somme, toute donnée archivable peut être prise en compte dans cette pratique, y compris une transcription des données biologiques prélevées par le biais de capteurs posés sur le corps (température corporelle, rythme cardiaque, etc.). L’objectif habituellement poursuivi est de former une extension de la mémoire personnelle : il est alors possible d’accéder au fonds de données constitué plusieurs semaines voire plusieurs années plus tard, de procéder à des recoupements informationnels et de se souvenir d’éléments que le corps n’aurait pas gardé en mémoire[2]Ou bien que la mémoire aurait conservé un peu différemment, avec d’autres signes ou une autre interprétation (prenons par exemple le cas typique où la couleur d’un objet photographié diffèrerait de la couleur gardée naturellement en mémoire).. Cette pratique de captation numérique des moments les plus banals de la vie quotidienne génère une quantité phénoménale de données à potentiel mnésique.

Références citées

CACCAMO, E. (2017). Imaginer les technologies de mémoire totale avec la science-fiction audiovisuelle occidentale (1990- 2016). Étude sémiotique, intermédiale et technocritique des représentations de la mémoire personnelle, Thèse de doctorat, Montréal, Université du Québec à Montréal.

CACCAMO, E. (2021). « Obsolescence programmée, mémoire et oubli : Du lifelogging à l’extraction science-fictionnelle de la mémoire biologique », dans B. Dupont, C. Guesse et E. Mingazova (dir.), Obsolescence programmée : perspectives culturelles, Liège, Presses Universitaires de Liège, p. 103-121.

DODGE, M. et R. KITCHIN (2007). « Outlines of a world coming into existence: Pervasive computing and the ethics of forgetting », Environment and Planning B Planning and Design, 34(3), p. 431-445.

KELLY, K. (2007). « Lifelogging, An Inevitability », The Technium. http://kk.org/thetechnium/2007/02/lifelogging-an

SELKE, S. (dir.) (2016). Digital self-tracking and Lifelogging – between disruptive technology and cultural transformation, Wiesbaden, Springer.

Notes

Notes
1 Je propose ce terme en français, car il n’existe pas de traduction.
2 Ou bien que la mémoire aurait conservé un peu différemment, avec d’autres signes ou une autre interprétation (prenons par exemple le cas typique où la couleur d’un objet photographié diffèrerait de la couleur gardée naturellement en mémoire).

Présentation de Technomnesis

Le projet Technomnesis a fait l’objet d’une présentation du projet dans le cadre du congrès international « PATHS, SCENARIOS AND METHODOLOGIES SEMIOTICS ROUTES II », International meeting of young early-career IASS-AIS X International Congress of Semiotics of Colombia ASC, en Colombie, le 9 octobre 2021.

Participation à « Sur nos traces » (Radio-Canada)

Baladodiffusion réalisée par Alexandre Pépin. J’ai participé à l’épisode « Déjouer la mort » du 27 septembre 2021 dans lequel je parle d’hyperdiarisation et de cyberconversion (téléversement de la mémoire et de l’esprit dans un ordinateur).